samedi 26 septembre 2009

At Mzab, Une Société Amazighe d’Algérie A l’Epreuve des Temps

At Mzab, Une Société Amazighe d’Algérie
A l’Epreuve des Temps

Par Hammou DABOUZ



Prologue

Les At Mzab[1] (avec un z emphatisé) qui appartiennent au monde amazighe, est une civilisation très ancienne. Les témoignages de cette civilisation remontent aux périodes préhistoriques. De son histoire, les At Mzab possèdent une architecture traditionnelle de renommée universelle. Le Mzab est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1982, ses palmeraies et ses systèmes d’irrigation qui reflètent toute une technicité, sa fameuse tapisserie, son organisation sociale ont pu garder et propulser cette société oasienne au cours des douze derniers siècles.
Ce papier et d’ordre informationnel. Il montrera aussi de manière succincte les relations qui peuvent exister entre une nature inhospitalière et une société amazighe encore profondément attachée à ses valeurs, mais qu'on aurait tort de croire immuable, où la langue amazighe forme l’indispensable socle de son existence, où la religion est gestuellement appliquée, mais infiniment plus profonde qu'on ne l'imagine souvent, où les jeunes générations sont appelées à bien vivre dans le monde de l’humanité qui avance à une vitesse vertigineuse, mais où les leçons du passé doivent bien s'apprendre et servir.
Des sites préhistoriques datant du Paléolithique ont été repérés dans la région, et des indices décrivent la présence de communautés primaires troglodytes dont l'habitat est creusé à même la roche calcaire des collines. Les signes alphabétiques libyco-berbères, quant à eux, sont attestés un peu partout au Mzab. Cependant un énorme travail d’exploration, de repérage, de collecte et de déchiffrement reste à faire pour en connaître la teneur. Si les quelques dizaines cités mortes du Mzab témoignent d'une présence amazighe antérieure à l'avènement de l'ibadhisme, le rite ibadhite, en faisant partie des écoles de la jurisprudence musulmane, s'était propagée dans la région, il y a mil ans. Il n’en demeure pas moins que les connaissances portant sur les premières peuplades qui avaient vécues dans cette région avant son islamisation, demeurent encore très limitées.

Situation géographique, climatique et démographique

Le Mzab, hyper-aride, caractérisé par la sécheresse de l’atmosphère et la grande intensité de l’évaporation qui s’opposent à toute végétation naturelle, est une région de l'Algérie qui, en étant sis dans le Sahara septentrional, se situe à 600 km au sud d'Alger, dans la Wilaya de Ghardaia (Tagherdayt[2], en Amazighe). Cette région s’inscrit dans un ensemble géomorphologique étendu sur un plateau rocheux disséqué de couleur brune et noirâtre dont l'altitude moyenne est de 500 mètres. Ce plateau avait été marqué par la forte érosion fluviale du début du Quaternaire qui a découpé dans sa partie sud des buttes à sommet plat et a façonné des vallées organisée autour d’Ighzer[3] Mzab (Oued Mzab/Vallée du Mzab). C’est à l'enchevêtrement de ses vallées que cette région doit l’appellation de filet.
A propos de la pluviométrie, force est de constater que pendant certaines années bien exceptionnelles, comme au début du siècle passé, en 1991, en automne 1994 et, dernièrement, au début octobre 2008, de violentes crues ont déferlé sur l’ighzer Mzab en causant des pertes humaines et d’énormes dégâts dans les biens.
En l’absence d’un sérieux recensement, on peut sans trop s’éloigner de la réalité dire que les amazighes dans le Mzab constituent actuellement 60% ± 5% (soit 240.000 ± 20.000) des habitants de la Wilaya. La région du Mzab, en offrant tant d’avantages, connait depuis plus d’un siècle, un afflux progressif de populations arabophones notamment nomades de confession malékite. Elle a connu également depuis l’indépendance l’arrivée d’une population amazighophone et arabophone qui exerce dans les différents secteurs économiques.

Origine ethnique des At Mzab

Loin de toute idée simpliste, il est à préciser que le renforcement du peuplement du Mzab serait non seulement consécutif à la chute de l’Etat Rustumide et l’exode définitif des populations de Warejlen (Ouargla) et d’Isedraten (qui étaient déjà amazighes ibadhisés), mais il serait aussi le résultat de la migration dans le temps de quelques familles de la région des Aurès, de l’est algérien, d’une partie de la Libye… et de la Tunisie actuelle. Si les origines géographiques de tamazgha (amazighie) qui traversent cette société du Mzab, se chevauchent bel et bien aux divers plans, les gens ignorent superbement cette donnée pour autant dans la vie sociétale actuelle.
Toutes les données fondées conduisent à dire que l’hypothèse d’Ibn Kheldoun selon laquelle la filiation des At Mzab remonte à l’ancêtre éponyme des Zénètes. Selon cette filiation, les At Mzab sont les frères des At Toujin, At zerdal et At Abdelwad. Et ces trois branches sont issues de la tribu des At Badin frères des At Rached, dont la filiation remonte à Udjana, ancêtre présumé des Zénètes (izenten, en tamazight). C’est une descendance dont l’ascendance éponymique remonte à Imedghasen en passant par les Gétules de la période pré-chrétienne dont une partie s’est jointe aux Garamantes. Selon les données linguistiques, l’appartenance des At Mzab à la branche Zénète est incontestable. Il est bien fondé que la variante amazighe que pratiquent à nos jours les amazighes du Mzab, est très proche de celles dites zénètes telles que tacawit dans les Aurès, tazennatit de la région d’Adrar, Matmata de la Tunisie… et Tarifit dans le nord du Maroc. Quant à l'établissement de la communauté noire et métisse, dans le Mzab, elle est en grande partie le fruit du commerce transsaharien, autrefois florissant mais dont le coup d'arrêt a été amorcé vers 1848, date à laquelle la loi interdisant la traite des esclaves a été promulguée. Toute cette population n’en constitue pas moins un groupe virtuel sans disposer encore pour autant d’un construit symbolique qui le rendrait reconnaissable à travers des signes stables rendant identifiable le contenu d’une identité commune. La question de l’existence de la communauté d’At Mzab va de soi-même, puisqu’elle regroupe des groupes de familles, voire de fractions homogènes les unes aux autres. Les fondements définissant les At Mzab s'articulent autour de quatre critères principaux :
1. Le critère linguistique (emploi d’une variante amazighe dite tumẓabt).
2. Le critère historique (les At Mzab ont en leur actif une préhistoire et une histoire sociale extra-millénaire).
3. Le critère cultuel (les At Mzab font partie du rite musulman ibadhite).
4. Le critère culturel (mode de vie, arts, connaissances pratiques, traditions…).

Rappels historiques


En abordant l’histoire des At Mzab, force est de constater qu’on ne peut que l’intégrer comme une partie de Tamazgha (Afrique du Nord). Comprendre le Mzab d’aujourd’hui, c’est aussi reprendre la voie d’une histoire riche d’événements et de leçons.
A l’ancienne population amazighe proto-tumzabt qui existe dans le Mzab depuis des temps immémoriaux, s’étaient agglutinées des familles amazighes qui avaient trouvées dans cette région meilleur refuge pendant les invasions notamment romaines ; ces populations y avaient édifié des igherman (cités) pré-islamiques. Après l'avènement de l'Islam, et au 7ème siècle de l’ère chrétienne, la population amazighe de cette région a adopté la nouvelle religion. Il y a tout un nombre de vestiges ruines témoignant tout particulièrement que bien des établissements amazighes pré-ibadhites y existent, tels que talezdhit, awlawal, tmazert, bukyaw… Cette population amazighe, disons semi-nomades, vivaient principalement d’élevage et d’agriculture saisonnière. Et c’est à partir du onzième siècle que le monde du Mzab a connu un grand passage historique ainsi qu’un véritable épanouissement marqué par le rite ibadhite qui a été adopté par l’ensemble des At Mzab depuis plus de 10ème siècle. Ce changement de mode de pensée et un nouvel apport démographique amazighe ont poussé la société d’At Mzab à naître telle qu’elle est connue de nos jours. A partir de cette époque, cinq igherman ont été édifiés sur des pitons rocheux, il s’agit de Ghardaïa (Tagherdayt, en langue amazighe), Mélika (At-Mlicet) Bounoura (At-Bunur), Al-Atteuf (Tajnint) et Beni-Isguen (At-Izdjen). Deux autres cités, Berriane (Bergan) et Guerrara (Iguerraren) font partie aussi de la région des At Mzab, mais qui se situent en dehors de la vallée du Mzab ; la première à 45 km au nord, la seconde à 110 km au nord-est.

Vie sociale

Les cités du Mzab sont organisées en une structure lignagère : le lignage ou Taddart selon la taxinomie locale est un groupe de descendants dont les membres revendiquent un ancêtre commun. La descendance se trace à travers les hommes, et l’on est, contrairement à la société des Imuhaq (Touarègues), dans le cas d'une société patrilinéaire. Le Suff[4] (alliance politique entre fractions) est constitué de plusieurs lignages que chacun joue entre autres le rôle de solidarité et d’alliance ; c'est une sorte d'alliance qui n'a pas d'existence institutionnelle, qui peut d'un moment à l'autre changer de configuration. Le choix de quitter ou de demeurer au sein d’un Suff revient ou lignage. Ce choix se fait en fonction des intérêts de conjoncture. On se définit par rapport à une telle ou telle famille et on appartient à un tel ou tel lignage. Chaque cité regroupe des tribus qui, elles, constituent des Suffs. La tribu se structure dans une organisation pyramidale complexe à trois niveaux. Au premier niveau viennent les fractions (tiâcirin), regroupant chacune, sur une base généalogique, un ensemble de Tiddar (familles élargies portant le même nom d’état civil et supposées descendre d’un ancêtre éponyme). La fraction est une unité administrative de base gérée par une assemblée représentative. Elle dispose des biens communs notamment un siège où elle tient les assemblées générales et organise les noces. Au deuxième niveau, un ensemble de fractions forme la tribu, qui n’est généralement pas le fait d’une descendance généalogique, mais plutôt d’une alliance politique permanente entre des fractions et clans. On arrive, au troisième niveau, à l’alliance des tribus sous l’égide des Iâezzaben[5] (religieux ibadhites). C’est pour cela que E.MASQUERAY observa que l’agherm dans la Mzab est une cité de deuxième degré qui, en étant une structure trilitère, représente des ressemblances frappantes avec l’ancienne cité grecque.
Aujourd'hui, le sentiment d'appartenir au Suff a disparu auprès des nouvelles générations. Les mutations que connaît la région ont eu un impact considérable sur les mœurs et les comportements. On assiste à l'émergence de nouvelles formes de conscience individuelle ; et des attitudes propres aux sociétés de type différencié prennent de plus en plus d'ampleur.

Organisation urbaine et architecturale

L’organisation urbaine dans le Mzab est amazighe dans son essence et musulmane dans sa doctrine. Pour mieux comprendre la portée du rite ibadhite, il faut explorer en profondeur dans le milieu socioculturel de ces populations amazighes ayant embrassé l’ibadhisme[6]. L’architecture du Mzab, qui s’intègre dans un environnement spécifique et répond à des besoins stricts, se caractérise par la simplicité. C’est pourquoi il y subsiste des pratiques hostiles au luxe et aux comportements ostentatoires. Partout dans les cités du Mzab, une des grandes énergies de la communauté a été le long des siècles mobilisée pour arriver à ériger sur des tertres les actuels sept igherman en mettant préalablement un savoir-faire déjà consolidé durant l’âge d’or de Tahert, un savoir-faire bien appris et repris, bien revalorisé et maîtrisé par les At Mzab. Il est aussi utile de préciser que le Mzab forme par ailleurs la continuité d’Isedraten[7] (Sedrata) éphémère qui a été ensevelie sous la mer des sables. La fondation des sept cités actuelles (Igherman, sing. d’Agherm) s'était étalée sur une période de presque sept siècles et ce, avec la fondation de la dernière cité de Bergan vers la fin du dix-septième siècle. Ces cités se distinguent par leur architecture spécifique et une organisation de l'espace qui s'articule autour du sacré et du profane (mosquée et cimetière, habitations et marché), un dedans et un dehors qui caractérisent aussi bien la demeure familiale que la cité. Le paysage du Mzab offre un contraste coloré, entre l’ocre rose des monticules, le vert des verdoyantes oasis, le bleu vif du ciel et le bleu pastel des cités dont les maisons sont étagées les unes au-dessus des autres.

L’implantation de l’Agherm se fait sur un tertre dégagé afin de répondre aux quatre principes primordiaux :
1. Protéger la cité de toute incursion et/ou attaque extérieure en mettant à profit les accidents de terrains qui entourent l’agherm.
2. Protéger et dégager les terres cultivables.
3. Mettre à l’abri les habitations et les activités urbaines du ksar de tout risque d’inondation.
4. Avoir la meilleure protection contre les rigueurs climatiques.

L’implantation de l’Agherm avec la palmeraie forme le noyau-socle de la vie humaine qui fait partie d’une étendue géographique. Les espaces vitaux desquels est tributaire la population sédentaire sont comme suit :
1. Agherm (cité fortifiée) : enclos habité et assurant la vie familiale et sociale.
2. Tijemmiwin (Palmeraies) : espaces de subsistance et de fraicheur.
3. Tinḍal (Cimetières) : espace des morts.
Chaque agherm s’organise suivant trois espaces qui sont les éléments de structuration, avec un réseau de parcours (rue, ruelle et impasse) :
1. Centre spirituel sacré, la mosquée (tamesjida).
2. Domaine d’habitation intime (tiddar).
3. Centre public, masculin et profane, le marché (souk).

Le site d’implantation de l’Agherm répond à des besoins, et les diverses données ne favorisèrent que l’idée d’un isolement recherché et sécuritaire et ce, dans le contexte d’une vie oasienne opposant l’intérieur sécurisant et connu de l’extérieur hostile et inconnu. Par conséquent, la société du Mzab était contrainte de subvenir strictement à ses besoins substantiels les plus vitaux que de ses palmeraies créées de toutes pièces dans le désert. Par ailleurs, l'ibadhisme et tamazight comme langue et culture constituent la double cohésion qui fait qu'il est difficile de dissocier un umzab (mozabite) de l'ibadhisme.

Vie culturelle

Une culture qui ne s’actualise pas s’anachronise, pour prendre à coup sûr le chemin qui mène tout droit à la disparition. La diversité, l’expression de soi, la transformation et la prospérité sont le résultat de la vitalité culturelle. La diversité culturelle est autant précieuse que la biodiversité. Dans le Mzab, même si elle est basée sur l’oralité, toute une vie littéraire et culturelle a toujours existé. A présent, le patrimoine immatériel est aussi attesté par un grand fond de manuscrits portant sur les divers domaines historique, linguistique, religieux, juridique, social… et littéraire. Cette multi-richesse avait vite attiré l’attention des européens qui l’ont exploitée dans beaucoup de recherches interdisciplinaires.
La culture dans le Mzab est l'expression la plus profonde de ses richesses. Chaque période historique a laissé une masse de savoir-faire et de connaissances qui ne cessent d'évoluer de génération en génération. Quant aux générations actuelles, il est constructivement de leur devoir de penser à la préservation et à la mise en valeur de tout l'ensemble culturel du Mzab et ce, sous ses différents aspects d'expressions poétiques, techniques… et artistiques. L’emprise sociale de la culture populaire est une réalité nationale et un habitus légitime. L’avenir des At Mzab dépend diamétralement et plus que jamais du rapport de ces derniers aux éléments constitutifs de leur langue et de leur culture amazighe qui sont en symbiose avec leur religion universelle.
Le grand inventaire des contes (tinfas, en amazighe du Mzab) populaires oraux qui, dans une étape ultime, continue de résister à la disparition, nécessite une sauvegarde écrite. Le conte traditionnel se situe en effet à l'articulation de deux types de sociétés, l'une traditionnelle, et l'autre en devenir. C’est un inventaire qui offre un menu varié au plan thématique et selon des typologies variables. Dans un schéma simplifié, les récits peuvent être classés selon trois catégories :
1. Les légendes inspirées des textes sacrés, mais bien adaptés aux réalités géographiques, culturelles, sociales… et économiques.
2. Les récits issus de la région du Mzab et traitant de thèmes spécifiques à cette dernière.
3. les récits inspirés d’œuvres connues et faisant partie des autres cultures (comme « Mille et Une Nuit ») sans rapport avec les réalités historiques de la région.

En excluant les récits de la 1ère catégorie, les autres se manifestent an ayant les caractéristiques suivantes :

§ Du point de vue contenu, les récits narrés sont courts et, des fois, bien très courts (anecdotiques et légendaires).
§ L’anecdote fait relater la genèse d’un adage ou justifier une légende.
§ Le héros est toujours un personnage humble : une veuve, un(e) orphelin(e), une personne pieuse, une fille, etc...
§ Faisant partie de l’oralité, le conte reste malléable (il y a à remarquer que des détails apparaissent et disparaissent d’un conteur à l’autre).
§ Le conte traditionnel n’a pas de propriétaire, il relève du monde des conteuses, et fait partie au fond du patrimoine populaire.
§ Un bon nombre de contes ne connait pas de titres. On fait remarquer que le titre correspond dans la plus part des cas au nom du héros ou à une formule consacrée.
§ Le conte oral est véhiculé par le genre féminin à la veillée.
§ Contrairement aux domaines artistiques tels le chant et la danse, le conte populaire est toléré par les hommes de pieux.
§ Des contes narrés dans le Mzab ont, comme au reste de Tamazgha, leurs versions dans la tradition méditerranéenne.
L’expression orale est le trait marquant des différentes productions intellectuelles et artistiques nées dans le Mzab. Malgré que l’ancien patrimoine culturel véhiculé par la tradition orale (contes, adages, poèmes, proverbes, chants ou toute autre forme d’expression) recèle bien une richesse intellectuelle, morale et artistique d’une grande valeur, tout s’est passé comme si, pour les lettrés (en langue arabe), seule la chose religieuse mérite le soin d’être écrite. Aujourd’hui, on peut dire que le passage d’une production culturelle orale à celle écrite a été marqué par la création du conseil de Tumzabt dans les années 1980 auquel ont pris part des hommes déterminés. Ces sont ces hommes qui ont marqué les tous débuts du passage de la langue amazighe dans le Mzab du stade de l’oral à l’écrit. A présent, le Mzab compte des dizaines d’homme ayant produit des centaines de poèmes et de proses. Le nombre de poètes ne cesse d’augmenter depuis notamment les années 1990, et des recueils de poèmes sont aujourd’hui publiés. Par ailleurs, l'introduction de l'enseignement de tamazight dans le Mzab, qui avait connu ses débuts vers le début des années 1990 au sein de l'institut "El-Islah" de Tagherdayt où a été introduites la matière langue et la littérature tumzabt, a tout particulièrement permis de contribuer à marquer le passage de l’oralité à l’écriture. Et cet enseignement qui résiste à toutes les tentations d’étouffement, dure jusqu’à nos jours.
Par ailleurs, depuis les années 1980, des étudiants du Mzab ont pris l’initiative de prendre en charge leur langue-culture en animant des expositions culturelles aux universités et au sein des associations dont la plus renommée est l’association Bergan pour la protection de l’environnement et la sauvegarde du patrimoine culturel. Dans cette optique, et suite à une demande destinée au HCA, il y avait du 22 au 24 mars 2000 l’organisation par le mouvement associatif, sous l’égide du HCA, de la deuxième édition du Festival de la poésie amazighe à Bergan.
Dans ce temps, deux revues ont été animés (revues Tifawt et Izmulen). Quant aux mass médias, outre la présence de tumzabt à la chaîne 2, la chaîne de Ghardaia, depuis sa création, consacre de manière subalterne un certain temps très insuffisant pour diverses émissions en langue amazighe du Mzab.

Vie artistique

Il est largement admis que la région du Mzab accuse tout un retard dans le domaine du chant d’expression amazighe[8], cela en dépit des inestimables richesses que recèle cette région. Cet héritage richissime et tout un environnement peuvent à l’époque actuelle engendrer une dynamique et un dynamisme sans précédent, tout particulièrement dans la chanson sur laquelle tant d’artistes ont œuvré depuis le début des années 1970 et ce, avec le tout début du chanteur Âadel Mzab, pionnier et père de la chanson tumzabt, qui tout seul, était parvenu à gagner une échelle d’audience au Mzab et en Kabylie.
En dépit d’une histoire de plus de trois décennies, la situation actuelle de la chanson d’expression amazighe du Mzab n’est pas facile à surmonter, cela pour différentes causes. Toute une stagnation risque de peser lourdement sur le devenir de la production de la chanson d’expression amazighe dans cette région. Dans ce papier, il est important de préciser que l’objectif est de faire connaître en bref comment la chanson contemporaine est née dans le Mzab, dans quelles conditions a évoluée et ce, sans entrer dans les aspects thématiques et musicologiques.
Il y a lieu ici de distinguer la chanson du chant traditionnel en tant que forme d’expression pratiquée (dans diverses occasions nuptiales, religieuses et autres) et non accompagnée d’instruments musicaux de mélodie. Dans la présente rétrospective historique, on admet pour la chanson amazighe dans le Mzab trois étapes principales : la première allant du début des années 1970 à la fin des années 1980, la deuxième de la fin des années 1980 à la fin des années 1990 et l’actuelle étape qui a débuté tout juste avec notre entrée au troisième millénaire.
La première étape a connu ses tous premiers débuts grâce à la détermination du chanteur Âadel MZAB que l’histoire retiendra son nom pour toute l’ascendance. Âadel Mzab - le nom « Mzab » se réfère à une région amazighophone de la partie Nord du Sahara algérien -, comme le montre d’ailleurs son nom artistique comportant le terme Mzab auquel toute la société des At Mzab s’attache et par rapport auquel s’identifie, est resté en phase avec sa société, son vécu et le monde qui l’entoure et ce, par fidélité à sa mission artistique et son rôle de chanteur sensé participer à sauvegarder sa culture et sa langue maternelle.
Âadel Mzab a su, grâce à sa persévérance plusieurs fois décennale, donner à la chanson un rôle important dans la participation à la sauvegarde de la culture amazighe et cela, à un moment crucial caractérisé par une multitude de difficultés. Après être parvenu à inscrire la chanson dans un processus de rupture avec les pratiques anti-musicales, il était parvenu à la faire sortir d’un état de sclérose naissant et d’une réversibilité mortelle tout en défiant les circonstances malencontreuses des décennies 1970-1980 qui, à cause que la chanson était considérée comme un tabou/péché, étouffaient cette action artistique depuis sa phase embryonnaire. Concernant ce mot « tabou/péché », il y a à faire remarquer que dans les traditions religieuses, tout ce qui se rapportait aux genres musicaux, artistiques tels la chanson, le théâtre et la poésie étaient strictement interdits par le cercle religieux des iâezzaben. Donc le fait de songer et de s’engager dans la chanson encourait l’auteur une impitoyable inimitié, toute une excommunication et un strict refoulement.
Le chanteur Âadel Mzab, comme l’ont fait d’ailleurs d’autres chanteurs du Mzab, a su et pu vaincre l’interdit tout en exprimant à haute voie et en décrivant la vie de la société amazighe du Mzab. Ainsi, cette démarche artistique s’est inscrite dans une remise en cause de l’ordre établi des années 1970-1980. Les chansons à caractère social et sentimental occupent la place prépondérante de l’œuvre multi décennale de Âadel Mzab. Sa chanson présente un éventail qui mérite d’être étudié de près pour servir d’appui et d’expérience-synthèse.
Les thèmes de la chanson de Âadel Mzab étaient diversifiés. C’était le regard d’un artiste sur des pratiques sociales, sur la religion de la société et les prophètes, sur la fille de son pays, sur la circoncision et le mariage, sur la naissance et la mort, sur les fêtes, sur la nature et sur les événements qui marquent l’histoire contemporaine du Mzab. On évoque ici que le poème « ay anuji » chanté a été in extremis sauvé et tiré d’un répertoire traditionnel (et anonyme). Là on fait attirer l’attention qu’une grande partie du patrimoine immatériel risque de disparaître du champ de notre vécu tant que ce dernier demeure enfouie seulement dans la mémoire collective.
Dans l’évolution de la chanson pendant les années 1980, on a principalement vu l’apparition de deux autres chanteurs ; il s’agit de Slimane Othmane et Djaber BLIDI qui avait diffusé son seul et unique album au milieu des années 1980. La demande était passée d’une étape primaire à une étape qui avait connu du point de vue demande un considérable changement.
La deuxième étape voit l’éclosion de nouveaux chanteurs et troupes musicales encore déterminés à relever le défi pour mener la chanson vers une certitude où tous ses enfants puissent s’épanouir. Âadel Mzab, Slimane Othmane et Djaber BLIDI sont rejoints ainsi par les troupes Itran et Utciḍen, par les chanteurs Alga, Amar KHELILI, Said TAMJERT, Bassa AKERRAZ et bien d’autres qui ont plus au moins travaillé sur la chanson.
Pour que l’histoire le retienne, à l’origine de cette deuxième étape, un groupe, composé par Zitani Hammou et Djamel, Âadel MZAB et Baslimane Mahfoud, a organisé au Centre Culturel de Berriane vers la fin de l’année 1988 deux journées d’étude sur le très modeste itinéraire de la chanson amazighe du Mzab auxquelles ont participé Âadel Mzab et la quasi-totalité des jeunes chanteurs ainsi que des acteurs du folklore de la ville de Berriane. Les organisateurs de ces deux journées ont mis le point sur la nécessité vitale d’inciter et d’aider les nouveaux chanteurs à s’engager dans la chanson d’expression amazighe. Ces deux journées d’étude sur la chanson amazighe du Mzab avaient en effet donné un nouveau souffle à la chanson en réussissant à amorcer une dynamique et à inciter les jeunes chanteurs à s’orienter vers la chanson d’expression amazighe.
Cette deuxième étape se distingue de la première par le changement qu’a connu globalement la scène politique algérienne et, localement, par la naissance d’une génération de chanteurs prêts à prendre en main la destinée de la chanson. Cette génération d’artistes était caractérisée par un esprit de mobilité et de créativité ; c’était grâce à ces efforts déployés que le répertoire musico-thématique existant a connu tout un apport d’enrichissement quantitatif et qualitatif. Pour l’accomplissement de ce travail et pour assurer le contenu thématique des chansons, l’on avait fait appel aux poètes les plus renommés de la région du Mzab, entre autres Abdelouahab AFEKHAR, Salah TIRICHINE, Hammou ZITANI, Ahmed HADJ YAHIA, Youcef LASSAKEUR, Omar BOUSSADA, Omar DAOUDI et bien d’autres. C’est grâce à tous ces acteurs que l’on doit rendre un grand hommage pour leur participation dans la sensibilisation des masses et la redynamisation de la vie artistique. La chanson était à partir de cette étape diffusée à une grande échelle du Mzab via les nouveaux supports, notamment la cassette et le CD. Ne serait-il utile de rappeler que les mass média audio et/ou audio-visuels doivent constituer un véritable moyen de diffusion fort efficace pour toute la production chantée et d’éveil de la conscience amazighe.
Il y a lieu de faire remarque qu’outre la chanson proprement dite, un nombre de troupes de chorales ont depuis les années 1970 été créées. Les plus connues sont Omar DAOUDI, Omar BOUSSADA, Omar BADJOU, Moussa RFISSE, SELLAS et d’autres.
L’opposition entre deux étapes sociales distinctes, passée et présente, nouvelle et ancienne, traduit une rupture définitive au sein de la jeune génération avec la vision traditionnelle de la société et marque la prise en charge de la dimension amazighe exprimée par la chanson. La chanson d’expression amazighe du Mzab est depuis plus d’une décennie avait sensiblement dépassé une première étape qui était très déterminante pour les étapes suivantes.
La troisième étape qui est en cours, a vu la diffusion par Slimane Othmane d’un album de style chaâbi. Et le tout prochain produit musical le prépare le chanteur Djamel IZLI, ex chef de la troupe Utciḍen. Cet album, bien travaillé, sera mis sur le marché international le mois mai 2009. Cet album, au nombre de 8 chansons, est intitulé « TAMEDDURT » (Existence).
La chanson dans le Mzab a dans l’étape actuelle besoin d’encouragement et de plus de chercheurs en matière musicologique et thématique afin d’arriver à réunir les conditions requises et toutes les connaissances qui peuvent servir de repère et de matière première indispensable pour le développement de la chanson d’expression amazighe. L’actuelle étape dont certaines perspectives se dessinent, est celle qui, tout particulièrement, intéresse la classe artistique en raison du rôle qu’on doit jouer pour redynamiser, élargir davantage et faire participer activement de larges franges dans cette entreprise artistique, notamment les poètes et les chanteurs. Il s’agit d’opérer une mise à niveau de la chanson tout en la faisant sortir de ces confins. Dans cette optique, un festival de la chanson amazighe du Mzab sera organisé à Ghardaia (Tagherdayt) du 12 au 18 mai 2009.

Rapport avec d’autres artistes amazighes

En partant du fait de partager un même espace historique et préhistorique, linguistique et culturel, traditionnel et civilisationnel, une prise de contact entres différents chanteurs amazighes doit massivement arriver pour avantager un rapprochement fructueux entre le Mzab et les autres régions de Tamazgha (Amazighie). Il y a lieu de faire remarquer qu’un rapport de complicité entre le Mzab et la Kabylie a bel et bien existé. On évoque ici que des chansons du Mzab ont été reprises par des chanteurs kabyles. Il s’agit de la chanson « ay anuji » de Âadel Mzab reprise par la troupe Tagrawla de Kabylie, du poème « Tamurt n Sehra » de Salah TIRICHINE chanté par le chanteur Ferhat MEHANI, de la chanson « ay anuji » de Âadel MZAB reprise par la chanteuse Ferroudja. Cette dernière artiste a aussi chanté le poème « a lalla zeth izetwan » de Salah TIRICHINE. Il est temps d’inscrire et d’adapter la chanson amazighe aux nouvelles conditions pour la mettre en compétition et ce, pour lui permettre à l’avenir de connaître un développement assez équilibré dans un itinéraire historique propre à toutes les régions amazighes.
La chanson était, reste et sera entre autres un moyen très important et efficient de contribution à la conscience identitaire et culturelle amazighe. Le travail de la chanson reste un investissement de générations, certes immatérialisable, mais qui aura des retombées positives et épanouissantes sur toute la société. La nouvelle génération, quant à elle, est aujourd’hui par excellence le lieu d’audience, de consommation et de production privilégie de la chanson amazighe. En bref, les jeunes sont au Mzab le meilleur facteur et un lieu propice au progrès d’une chanson d’expression amazighe dans son contenu thématique que dans son contenant musical. Les prédécesseurs doivent éveiller dans les nouveaux artistes cette dimension « chanson » pour créer une dynamique capable de faire sortir la chanson d’expression amazighe du Mzab d’une situation de marasme dangereuse.
La crise qui se manifeste un peu partout, doit accélérer une prise de conscience à la hauteur de la marche du monde d’aujourd’hui et de demain. Cette prise de conscience devrait arriver très vite pour sauver cette richesse algérienne du risque d’une disparition. Mais une telle prise de conscience est de nature à bien remettre en cause tout un nombre de problématiques d’ordre administratif, politique… et philosophique. C’est en effet cela qui continue de contribuer à freiner la marche de l’histoire.

Références bibliographiques
· Brahim CHERIFI, 2003. Université de PARIS III VINCENNES-SAINT-DENIS, Thèse pour le doctorat d’anthropologie. « Etude d’Anthropologie Historique et Culturelle sur le Mzab ».
· Joël ABONNEAU, 1983. Université de PARIS I (Panthéon Sorbonne), Thèse pour le doctorat de 3ème Cycle en Art et Archéologie. « PREHISTOIRE DU M’ZAB (ALGERIE – WILAYA DE LAGHOUAT ».
· IZMULEN, Yennar 2951 (2001). Revue de l’Association Culturelle BERGAN, Numéro 01.
· Brahim BENYOUCEF, 1986. Entreprise Nationale du Livre –ALGER, LE M’ZAB : les pratiques de l’espace.
· Djilali SARI, 2003. Editions ANEP, LE M’ZAB : Une création ex-nihilo en harmonie avec les principes égalitaires de ses créateurs.
· A. RAVEREAU, 1981. Editions Sindbad, Paris, Le M’Zab, une leçon d’architecture.
· A. IBN KHELDOUN, Traduction de Slane, Paris, Geuthner, 1934, 4 Vol, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes en Afrique septentrionale.

[1] La forme phonétique « At Mzab », qui, dans un ancien processus d’arabisation, est véhiculée par l’élite arabisante sous formes de « Beni Mzab/Mozab/Mizab/Mosâab », se compose de trois tranches : « At + M + Zab ». En bref, selon les données historiques et linguistiques que l’on n’a pas le temps d’en discuter ici, la deuxième tranche « M » devrait découler de « N » qui, en langue amazighe, est une préposition d’appartenance. La tradition orale chez les imuhaq perpétue à ce jour la prononciation « N Zab ». Le phénomène d’altération de « N » en « M » est un fait attesté en tamazight. Il est utile d’évoquer que l’anthroponyme At N Zab est en soi-même un document historique, révélateur d'un ensemble de données utiles aux chercheurs.
[2] Ce toponyme, pour des raisons qu’il serait long d’évoquer ici, a bien entendu une forme et un sens en rapport avec la langue de l’établissement humain qui l’occupe depuis la nuit des temps. En effet, la forme sémantique de Tagherdayt que l’on a voulu rapprocher de tagherdat/tagherdayt, féminin d’agherda « souris », n’est elle aussi que confusion. Il s’agit là d’un homonyme que l’on a confondu par quiproquo avec le toponyme Tagherdayt.
Selon une hypothèse appuyée, le toponyme Tagherdayt, signifiant « cuvette/dépression » se décompose comme suit : « ta---t » (indices du féminin singulier, dans tamazight) + gher (découlant de iger/ager signifiant champ) + adday (partie inférieure, bas, dessous). Ce qui va en harmonie avec le sens de « cuvette/dépression ». Par ailleurs, en tamazight d’Adrar Nfusa, en Libye, le mot Tagherdayt est bien attesté. Il donne le sens de « terre située au bord de l’oued ».

[3] Ighzer Mzab, d’origine amazighe, est l’authentique toponyme de « Oued Mzab/Vallée du Mzab ». Cette appellation d’oued Mzab, véhiculée dans les écrits, ne cesse d’essayer de supplanter la forme amazighe Ighzer Mzab.
[4] Il est à faire remarquer que le Suff ne se constitue pas sur des bases ethniques et il ne reflète pas une opposition nomades/sédentaires, arabes/amazighes. Tout au contraire, il traverse tous ces clivages, parce qu’appartenir à une ligue est une nécessité qui ne dépend pas de la nature du groupe, ni de son origine, ni de son affiliation religieuse.

[5] Le terme iâezzaben découle du singulier aâezzab qui signifie « reclus » et, par extension, le membre du conseil de la mosquée.
[6] L’histoire qui nous renseigne que l’islamisation de Tamazgha (Afrique du nord) a été grâce à la conquête d’Okba Ibn Nafeâ est en fait fausse. Ce dernier ne fut pas parvenu à propager par les armes la nouvelle religion en Afrique du nord. La preuve est que ce même conquérant avait été au cours d’une bataille tué par l’Agellid amazighe Aksil (Kosseila). Les faits historiques les plus objectifs montrent que l’islamisation des amazighes est le fruit de l’action d’un nombre de missionnaires pacifiques d’un courant de l’islam dit ibadhisme.

[7] Le toponyme Isedraten doit son origine à une tribu amazighe issue des Izenten (Zénètes). La date hypothétique de sa destruction par un chef nommé El-Mançour El-Machriq (dont la nationalité demeure inconnue) remonte à 1274 de l’ère grégorienne. Et une fois cette ville bondonnée par ses habitants, elle a été ensevelie par les sables.

[8] Il y a lieu de faire remarquer que la région du Mzab avait connu depuis les années 1940 des chanteurs amateurs. Ces chanteurs amateurs, en considération de l’hostilité et de la stricte interdiction de la chanson dans le Mzab, chantaient en cachette et imitaient notamment des chanteurs de Chaâbi tels que Dahmane Benachour et Med Hadj El-Anka. Jusqu’ici, aucun chanteur n’avait songé ni pris l’initiative de commencer de chanter dans l’Amazighe du Mzab.

vendredi 25 septembre 2009

Richesse lexicale dans la diversité sémantique de Tamazight

La langue, en tant qu’ensemble servant à transmettre et les messages et les idées, est un instrument de communication usité par les membres d’une communauté linguistique. Une communauté est toujours soumise aux différents et divers facteurs tels l’histoire, l’économie et la politique ; elle est aussi influencée par l’étendue géographique. Les liens qui unissent la langue et la société sont très étroits à tel point qu’il est impossible de parler de la langue sans parler de la société. Et la langue reste toujours le résultat des situations sociales, culturelles, économiques… et politiques qui se suivent dans le temps et dans l’espace. Ainsi, la langue qui réfléchit la situation existentielle de la communauté linguistique, n’est jamais par qualités intrinsèques faible ; elle est plutôt l’image de la société dont les divers facteurs sociaux (idéologiques, culturels, économiques, institutionnels, politiques…aussi bien que psychologiques) jouent le rôle prépondérant dans l’existence de la langue.
La langue amazighe comme d’ailleurs toute langue, et avec ses stratifications inter topolectales, ne fournit pas un cas d’homogénéité particulièrement au plan lexical. Elle connaît un ensemble de variantes topolectales aussi riche et aussi diversifié – même si l’on reste dans un même champ sémantique, l’image sémantique d’un mot peut se différer plus au moins sensiblement d’un topolecte à un autre –. Tandis que l’homogénéité grammaticale est la plus évidente.
La superficie (aussi bien que la vaste étendue historique, voire préhistorique) que se partagent les topolectes amazighes est tellement immense que cela n’est pas sans entraîner une hétérogénéité en particulier aux plans phonétique, morpho-syntaxique et lexical(-sémantique). L’écart lexical est dû aussi aux modifications des situations sociales en entraînant des répercussions sur la langue et des mutations dans le comportement linguistique.

En effet, la situation amazighe se présente comme suit : chacun des parlers puise continuellement dans son arsenal de moyens linguistiques et ajoute jusqu'à un degré aux caractéristiques communes d’autres traits spécifiques(-évolutifs), et ceci, dans une filiation inter-topolectale à établir.
Les sons et leur(s) signification(s) sont indissociables de la vie la plus profonde de l’Amazighe, à distinguer la valeur lexicale d’un mot et la (les) situation(s) contextuelle(s) où le mot est employé, puisqu’un seul mot peut avoir plusieurs significations (polysémie), déjà pour un même topolecte. La concordance lexicale en Amazighe n’est en grande partie imparfaite que d’apparence, et ce, à cause de la parenté génétique qui comporte d’amusants glissements et évolutions de sens et de forme, d’un parler à l’autre et, à des degrés plus hauts, d’un topolecte à l’autre. Dans beaucoup de cas on n’arrive pas à avoir ce que l’on cherche dès le début. Mais dans la quasi-totalité des situations de souche amazighe, on peut finir avec plus ou moins d’aisance par trouver un correspondant dont la racine est attestée dans les parlers en comparaison, en suivant les parallélismes reconnus dans l’état amazighe général. C’est ainsi qu’une même racine peut témoigner de deux mots de sens identique, voisin, divergent ou dissemblable ; ou au contraire, deux racines différentes peuvent être à l’origine d’un sens absolument ou relativement identique. Les créations et les transformations existent toujours, mais la langue ne retient et ne généralise qu’un minime ensemble de créations. Pourtant, c’est à partir de ce minime ensemble que la divergence s’accentue avec l’écoulement des périodes.
On peut commencer dans des questions à connaître les éléments qui constituent les sons les plus irréductibles, ensuite les sons proprement dits, puis les possibilités de combinaisons de sons, c’est-à-dire racine, mot et enfin combinaison et fusion de deux racines, voire plus. Cependant les frontières entres ces niveaux restent discutables. Ce n’est pas comme l’exactitude mathématique qui consiste à dire que la somme des angles d’un triangle soit toujours égale à la somme de deux angles droits.
Au stade actuel de connaissances de la langue amazighe, les variantes sont dues aux différentes transformations lexicales, dont il peut être évoqué la métathèse, la dissimilation, la réduction et l’augmentation, l’assimilation, le changement phonétique, l’effacement et la disparition de la composition, le nivellement,…et l’alternance.

Bien que les phénomènes concernant la variation lexicale sont d’une complexité, je me borne dans ce papier à aborder une situation très limitée en partant des sens liés aux notions « hier » et « maintenant » afin d’esquisser et d’exposer une idée sommaire illustrant la richesse lexicale dans la diversité sémantique de Tamazight. Le terme asennaṭ « hier » attesté chez les Mozabites (dorénavant, At Mẓab) se compose de as + nneḍ. Asennaṭ, pour lequel l’interprétation que j’ai donnée se base sur la concordance signifié/signifiant ou si l’on veut dire image sémantique/image acoustique dans la variante topolectale Tumẓabt, connaît une régulation sémantique dans les topolectes amazighes qui connaissent cette forme.
Je prends pour point de départ trois topolectes amazighes distants les uns des autres du point de vue géographique, pour dégager un raisonnement sur le terme asennaṭ. Le sens d’« hier » est véhiculé chez les At Mẓab par asennaṭ. Le Kabyle de sa part, connaît iḍelli et le Chawi asennaṭ. Alors que dans ce dernier topolecte, iḍelli est employé pour dire « la nuit passée », et pas « hier ». Les données lexicales de cette situation aidant, il y a toute raison de penser que les deux termes asennaṭ et iḍelli auraient pu exister dans le passé et en même temps dans les deux topolectes des Kabyles et des At Mẓab. Dans cette supposition, ils auraient découlé et dû être formés selon les besoins sémantiques de la société (communautés topolectales) de cette époque (inconnue) et ce, à partir des éléments de base, à savoir, pour le cas du composé iḍelli : iḍ « la nuit » + lli « passer... ». Ceci se manifeste en s’accordant avec les fonctions amazighes synchroniques actuelles. Et, pour ce cas, c’est le Chawi qui explique que le sens de iḍelli « le jour passé, asennaṭ chez les At Mẓab » qui, en Kabyle, ne peut être qu’une évolution du sens (antérieurement diachronique) de « la nuit passée ». Cette situation est corroborée par les matériaux linguistiques attestés dans l’état général de Tamazight. Il est utile de dire que l’adverbe de temps iḍelli nni « la veille » attesté en Kabyle, soutient l’idée que iḍelli a signifié dans le passé et dans ce même topolecte « la nuit passée », en raison du fait que, comme il était de leur habitude, les sociétés amazighes se référaient au temps en comptant habituellement les jours par les nuits.
Par analogie à cette composition, le terme asennaṭ, en partant du sens « le jour passé », s’explique harmonieusement par : as + nneḍ (t). Il est théoriquement valable d’avoir les formes composées *iḍennaṭ « la nuit passée » et *aselli « le jour passé ». Dans cette optique, il est linguistiquement possible en ce sens que les règles qui régissent les relations des éléments en Amazighe, permettent de telles compositions, mais la langue (au moins pour les topolectes traités ici) n’a pas voulu que ça soit ainsi.
Il y a une approche à faire avec le verbe nneḍ qui, paraît-il, est dérivé par le morphème n, à partir de la monolitère Ḍ. Sous peine de faire une présentation sous un faux jour, je préfère pour le moment m’arrêter ici en disant que le domaine de la recherche en Amazighe est perméable à être profondément investi. Il devra connaître de sérieux progrès à l’avenir.
Quant à l’adverbe imaṛu « maintenant », attesté chez les At Mẓab, il aurait pu être transcrit avec imar[o], car d’après le point de vue diachronique, ce n’est pas le r qui, à l’origine, est emphatisé. Cette transformation phonétique ne peut être considérée systématique chez ces derniers locuteurs amazighophones.
En se conformant à la situation globale, et à partir des matériaux lexicaux attestés dans d’autres topolectes, imaṛu doit, à partir du fait qui dit que les valeurs émanent du système général, s’analyser en :

Imar = temps, moment...
u (qui n’est que la contraction ou la simplification en état d’annexion du pronom démonstratif masculin wu « celui-ci »).

La forme composée imaṛu a donné le sens de « actuellement, maintenant ». La lettre r s’est transformée pour devenir emphatique sous l’influence de l’élément voisin wu et ce, par contamination. Ce phénomène est bien attesté en Tumẓabt. On réalise par exemple : aṃṃu qui est une formation à partir de am + wu « comme ça ».

Comme u des At Mẓab correspond à a des Chawi, des Kabyles…), imaṛu peut se comparer facilement avec la variante imira attestée en Tacawit, et qui s’analyse en :
Imir : temps, moment...
a : contraction de wa.

On peut opposer systématiquement la contraction de wa/a (en état d’annexion) connue des Kabyles et des Chawi en wu/u de Tumẓabt. On réalise dans cette dernière variante wu « celui-ci » et aγerm-u « cette cité (-ci) ». Il y aurait là une étude à faire au plan diachronique.

De même pour ntuṛu de Tumẓabt, il doit s’analyser en :
n = de (du complément déterminatif).
t(-u ) = préfixe du féminin.
r= racine monolitère renfermant l’idée du temps.
u : pronom démonstratif masculin.

La série dans son ensemble détaché : n-t-uṛ-u, donne à partir les règles de Tumẓabt le sens de « de maintenant ». Mais, pourquoi ntuṛu signifie dans l’état synchronique (actuel) de Tumẓabt tout à l’heure (dans le passé) et pas « maintenant ». Il n’est question ici que d’un changement de sens. C’est les faits diachroniques et leurs complications spatiales qui créent généralement la diversité des formes. Il est puéril de croire que les mots ne peuvent se transformer du point de vue sens (conceptuel) et forme (phonique), ou restent figés dans le temps. Ceci se confirme bien partout où la langue est vivante. Bien entendu, je donne un exemple qui est très connu de nos jours dans le topolecte des At Mẓab : « je suis malade, incapable... » se réalise à Taγerdayt ul zmiregh, tandis qu’à Berriane, on dit : lligh zemregh, pour le même sens. En revenant à la question abordée, je précise que la forme kabyle tura « maintenant » explique l’évolution du sens de ntuṛu. L’image morphologique de tura s’analyse comme suit :

t (-u)= préfixe du féminin.
R = racine monolitère renfermant l’idée du temps.
a = pronom démonstratif masculin.

On emploie dans d’autres topolectes n tura pour signifier « de maintenant ». C’est l’idée de laquelle s’est développé le sens de n-tuṛu, chez les At Mẓab.
En passant, je tiens à préciser que l’essentiel de la méthode d’analyse des éléments lexicaux consiste à rechercher dans un signe à contenu senti composé le contenu non-composé, ou si l’on peut dire les éléments primaires qui apparaissent ou se répètent aussi dans d’autres contenus de la langue, à condition que ça soit vérifié et confirmé conformément à l’ensemble des variantes. Pour ce faire, il faut avoir déjà des outils lexicaux, et, de préférence, des connaissances dans cet ensemble linguistique, en observant les règles données dans la structure globale avec toutes leurs correspondances et manifestations.

Il est attesté dans l’ensemble amazighe toute une famille lexicale à racine r (dans des formes primaires, dérivées ou composées) dont je puis citer :
En Taqbaylit (sources verbales) :

Imir : temps.
Imiren : au temps, à l’époque...
Akka amira : à pareil moment (c’est un composé). S imir : depuis.
Imir nni : alors, ensuite
...
En Tacawit (sources verbales) :
Imir : temps.
Imira : maintenant.
... En Tamahaq (sources verbales) :

Tarut : heures du milieu du jour.

...
Les situations sont beaucoup plus profondes que ce qui vient d’être exposé. D’autres mots peuvent être soupçonnés en rapport de dérivation et de composition avec la racine monolitère R renfermant la notion du temps, comme imal « futur » qui est plausiblement issu de imar. Il est en accord avec l’évolution r > l attestée selon des régions amazighophones où ce phénomène de transformation est d’un poids considérable. Il peut être rajouté aussi yur, yennar, taziri/tiziri (< tasiri/tisiri = clair de lune), Ziri...
Conclusion On peut en conclure qu’en causant un état d’hétérogénéité lexicale, des phénomènes concernant la variation lexicale ne sont qu’apparents. Dans l’état synchronique actuel, deux racines (voire davantage) de souche amazighe peuvent être employées suivant les évolutions et les différents choix des communautés topolectales pour arriver à véhiculer un seul et même sens (cas de asennaṭ/iḍelli) ; ou le contraire, une racine est à la base de donner des formes (primaires ou dérivées) identiques seulement d’un point de vue image sémantique (cas de tura/imira/imaṛu).
L’hétérogénéité lexicale de la langue Tamazight, dans beaucoup de cas, n’est qu’à cause soit des situations évolutionnaires, soit des choix des matériaux lexicaux, soit des variations dans les idées auxquelles sont attachés les contenus sémantiques.


Nat Mzab.

Les Pré-noms Amazighes Face aux Pouvoirs Politiques de Tamazgha (Afrique du nord)

Les Pré-noms Amazighes Face aux Pouvoirs Politiques de
Tamazgha (Afrique du nord)

« Les systèmes politiques n’arrivent pas à comprendre qu’en amant de la civilisation amazighe, il y a primordialement toute une langue à laquelle ils doivent non seulement tout le respect, mais aussi le fait de se racheter aux divers plans » Selon le site asekka.net, le père de la petite Numidya confirme l'acceptation et l'inscription par l’administration du prénom Numidya choisi pour sa fillette. A cet heureux événement, on présente du fond de notre cœur nos vives félicitations aux parents de la petite Numidya à laquelle on souhaite une longue vie pleine de prospérité. Nos vives félicitations fraternelles aux parents de la petite Numidya pour cette détermination de vouloir choisir un pré-nom de souche amazighe.A rappeler que Numidya, tel que d’autres noms d’origine amazighe, est la forme romanisée de N-Midden. Le terme N-Midden, compté au nombre des mots vivants, se pratique depuis l'antiquité jusqu’à nos jours. Il est composé de : N « préposition (de) » + Midden « pluriel de Madd signifiant pasteur/personne ». Le pluriel Midden, dont le singulier Madd a disparu, veut dire, dans l'état synchronique de Tamazight, gens, public, personnes...
Dans cette optique explicative, le terme madd, en Tamazight, signifie diachroniquement parlant « pasteur, personne qui guide les troupeaux en se déplaçant ». On avait emprunté les termes français « nomade » et anglais « nomad » à Tamazight et ce, tel que le sens véhiculé et qui signifie « qui se déplace, qui n’a pas de domaine fixe... ».
On vient de mettre le doigt sur une des questions dont souffrent les Amazighes si soucieux de leur Amazighité (Timmuzgha). La volonté se manifeste à chaque fois pour faire disparition les noms que fournit la langue amazighe, et avec eux cette raison d’exister. C’est aussi une hémorragie qui, particulièrement, avait été provoquée depuis les tous premiers temps de l’avènement de l’arabe en Afrique du Nord (Tamazgha). Ainsi dire, la descendance amazighe se retrouve de nos jours entre l’enclume des systèmes politique de Tamazgha et le marteau des fantoches pan-arabistes qui dictent à ces pouvoirs leur arabisme. En continuant de subir les aléas de la bureaucratie, beaucoup de ménages amazighes sont dans l’incapacité de donner des pré-noms de souche amazighe à leurs nouveau-nés ! On propose souvent aux parents des pré-noms (« izarismawen », plur. de « azarisem ») à consonance non seulement étrangère, mais aussi incompréhensible. Par ailleurs, tous ces blocages continuent encore d’alimenter une malsaine polémique et une marginalisation catastrophique. Dans l’une de ses incartades les plus haineuses, le haut fonctionnaire des affaires intérieures du Maroc, Idris Bajdi, déclare expressément : "Nous interdisons les noms berbères parce qu'ils sont contraires à notre identité et parce qu'ils ouvrent la porte à la diffusion de noms sans signification". De quelle identité parlait-il ? De celle que l’on a préfabriqué dans le déni et les coulisses, et ce selon le fameux modèle qui obéit à une « histoire subalterne » ayant connu ses débuts il y a 14 siècles de ça. Tout ce qui est antérieur à cette époque n’est considéré qu’en tant que néant, sinon insignifiant. Personne ne peut effacer des millénaires d’existence de tout un peuple. Ces responsables ne cessent d’attenter aux libertés des Amazighes de jouir de leur identité (tanettit) la plus profonde et, cela sans se soucier des retombées de ces scabreuses et grossières atteintes aux Amazighes. D’un coté l’on voulait démontrer l’indémontrable tout en ignorant la portée amazighe la plus profonde du pays qu’on croit être le sien, et d’un autre coté on a la trouille d’ouvrir les portes à la diffusion de noms amazighes dont les significations, parait-il, échappent à ces amazighophobes. Que devient-on lorsque l’on croit avoir détenu les 4 vérités, et que tout ce qui est en dehors de sa portée cérébrale n’est que néant et insignification ? Le fait d’avoir établi par l’administration une liste officielle comportant un certain nombre de pré-noms amazighes dits tolérés est en soi-même un chantage et un fatal amoindrissement de Tamazight qui puisse fournir un nombre illimité de pré-noms. Au lieu de parler d'un nombre de lexèmes amazighes, on devrait parler justement de la langue amazighe elle-même. Interdire aux nouveau-nés amazighes d’avoir des pré-noms amazighes est une image qui reflète cette façon de mettre la progéniture amazighe sous l’emprise de l’arabisme aveugle et sous la coupe des pouvoirs hégémoniques en place, en oubliant que vouloir donner des pré-noms amazighes à ses enfants est une conscience individuelle qui comporte naturellement une partie de la conscience collective. Par ces interdictions, on veut bien tenter d’effacer toute une identité amazighe qui ne cesse de se libérer. C’est aussi une manière flagrante de dénier aux amazighes tout droit à la différence et à la liberté de choisir leurs propres noms et pré-noms ! Il parait que le fait de porter un pré-nom fait très peur à ces systèmes politiques. Ils savent bien qu’un pré-nom est aussi un facteur et un signe identitaire très fort. Les pouvoirs politiques en place savent bien qu’un pré-nom amazighe peut aussi porter un sens et des valeurs historiques profondes et rappeler des symboles (izmulen) historiques tels que massinsen (massinissa), yugerten (jugurtha), takfarinas, n-midden (Numidie), Afulay (Apulée), Damia (Kahina), Uw tumert (Ibn Toumart), Ziri Ag Mennad (Ziri Ibn Mennad), tanefzawit (Zeineb)…
Combien d’amazighes portent à présent des pré-noms/noms arabes sans connaitre leurs portées sémantiques ? Cependant d’autres donnent à leurs enfants des contenus pré-nominaux dégradants et avilissants. Le fait qu’un être amazighe fait partie d’une famille, d’une collectivité de familles… et d’une entité sociale, il est indispensable de le différencier des autres personnes physiques. Donc il doit pouvoir être identifié dès sa naissance, et généralement pour toute son existence par son pré-nom et ce, auprès d’un service public afin de dresser un acte constatant un fait d’existence. Un prénom amazighe symbolise une existence aux divers plans linguistique, historique… et social. Et c’est aussi une mémoire collective. Aucun pays ne peut fonctionner sans le respect de l’héritage social et de la promotion de la langue de son peuple qui se manifeste aussi sous les noms de tribus, de familles, d’individus… et de lieux. Par ailleurs, un prénom est un moyen de rattacher ses enfants à ses ancêtres, à son histoire, et de lui donner un souvenir, qui dure aussi bien qu’une vie humaine, de sa culture et de son identité la plus profonde, même si cela ne reste qu’un pré-nom. Car un enfant amazighe qui porte un pré-nom provenant de la langue amazighe est attaché par ce cordon ombilical à sa mère patrie (Tamazgha) qui lui a donné naissance, et au plus tard ça donnera un grand effet pour aussi en être bien fier !
Un nom/pré-nom a une fonction complémentaire mais essentielle, c’est celle de consigner une information d’une grande richesse sur Tamazgha (la Berbérie ou le pays des Amazighes), sur la société qui l’a créé, sur les évènements qui ont présidé à sa naissance et à sa diffusion. Un nom de tribu, de famille, d’individu… ou d’artiste constitue le meilleur ambassadeur de la conscience populaire. Il est aussi en amont et en aval de cette conscience. Le pays (tamazgha/tamurt/akkal/tamazirt…), comme les Amazighes qui l’habitent, est profond aussi bien que la profondeur de son existence qui remonte aux temps préhistoriques. En outre, un nom/pré-nom est le langage du territoire. En étant dépositaire de divers renseignements sur un des éléments constitutifs de la personnalité individuelle, familiale et collective du territoire, un nom/pré-nom peut livrer, par son contenu sémantique et son cachet culturel, une information qui dit le pays dans ses innombrables facettes, raconte son histoire, décline ses beautés et ses espoirs. Comme les humains, les anthroponymes ont eux aussi une histoire. Ils ont aussi une fonction en tant qu’outil d’identification. Ce que l'on peut voir d'un nom de famille et/ou d’un pré-nom est le prolongement et la continuité d’une existence. Rechercher le sens d’un nom, c'est aussi voyager dans le temps et dans la langue. Au-delà de son contenant, ce qui est fascinant dans un nom, c'est sa considération symbolique et son inspiration, ses critères esthétiques et sonores, son existence spatiale et son cachet culturel.
Quant aux complications entravant tout particulièrement la situation pré-nominale/nominale de Tamazgha dont un grand nombre de pré-noms et de noms de famille sont d’origine linguistique arabe, on peut émettre au minimum 3 constats :
Le statut de langue orale de Tamazight, dans toutes ses variantes topolectales, a considérablement entravé la possibilité de valoriser cette langue en recourant entre autres à opter pour des pré-noms/noms amazighes. Une langue écrite a entre autre un caractère linéaire et une grande force de propagation.
Les longs siècles de contact avec la langue arabe et l’ignorance de l’élite arabisante des mécanismes et règles de tamazight, et sa tendance à expliquer les mots amazighes par la langue arabe qu’elle maîtrise en exclusivité, a compliqué davantage la situation onomastique. Cette élite a un peu partout et tout le temps parasité, assimilé et intégré, après les avoir fait subir des transformations phonétiques et, en suite, sémantiques, un grand nombre de termes amazighe (voir à titre d’exemple l’ouvrage : HISTOIRE DES BERBERES d’Ibn Khaldun). Par exemple, on a dans beaucoup de cas transcrit beni au lieu de at/ayt, mezghenna au lieu de imazighen, Meghraoua au lieu de imgharen, El-Kahina et Ed-Dehia au lieu de Damia (Tadmayt), moqrani au lieu de amuqran/muqran… et la liste est très longue.
L’exploitation de la religion au service de l’arabe, la marginalisation et l’infériorisation de la langue et la culture amazighes en les rangeant parmi les restes du folklore et cela, au nom d’une « idée utopique » que l’on a sortie magiquement de sa pensée, et qui, depuis le début, ne repose pas sur des faits ni réels, ni scientifiques, ni religieux. A ce jour, ces interdictions font encore partie des pratiques des pouvoirs politiques de Tamazgha. Ce sont des démarches idéologiques qui consistent à dire que ce qui est amazighe forme une classe inférieure et subalterne. Tant de grands décideurs obéissent encore à un cerveau limbique qui produit les affrontements et l’état d’antagonisme stérile et stérilisant. Imposer aux amazighes de ne pas donner des pré-noms amazighes peut se comparer aux recettes de domination que les Romains, les Byzantins… et, dernièrement, les Français avaient en vain déjà essayées. L’on a bien, pour réduire et anéantir les dimensions linguistiques, sociales, culturelles spécifiques aux Nord africains, fait appel à la force, à des idéologies, à la politique… et des concepts chimériques. Et cela nous a, à présent, coûté très chers.
Les pouvoirs en place ne cessent de donner preuve de leur myopie en oubliant que les sociétés amazighes se définissent entre autres par leur langue, leurs personnalités et leur mémoire collective, leurs valeurs et leur histoire… leurs cultures et leurs conceptions du monde. Non seulement que l’histoire des amazighes est occultée et leur liberté est entravée, les pouvoirs politiques tentent généralement d’imposer un modèle qui sert des intérêts occultes et sournois, matériels et mondains. Le passé, et même le présent, est souvent dénaturée, déformée, falsifiée et ce, pour justifier, arranger et comploter une réalité et ce, loin de tout point de vue humanitaire, objectif, rationnel et lucide. Il est connu que le conditionnement artificiel, la manipulation des valeurs sociales et des symboles ainsi que la fonction de légitimer les lignes de conduite sont en partie confiés aux professionnels de la démagogie. Là les orientations de l’action sociale sont adoptées, imposées, et les esprits des citoyens qui ne comprennent pas généralement les enjeux qui engagent leur avenir et leur devenir, deviennent une proie très facile. Une fois que les valeurs et les symboles de la société sont bien manipulés et rôdés, ça devient difficile à la société d’être maîtresse de son devenir. La prégnance de pratiques ethnocides et prônant la médiocrité influence très négativement la dynamique sociale. Dans un élan mystique et inhumain qui ne repose sur aucun fait réel, il est très trompeur de déclarer qu’il s’agit d’un intérêt national. En réalité, c’est l’inverse qui est vrai. C’est plutôt l’uniformisation à outrance et l’assimilation forcée qui aliènent les individus de la société en les contraignant à être ce qu’ils ne sont pas. Dans ce contexte, il est plus que jamais temps d’appeler au divorce avec ce monde mythique et utopique, même s’il est réel que toute une mouvance dite « arabo-baathiste » a été implantée sur la terre de Tamazgha avec l'aide de ses mentalités arrivistes qui mobilisent des milliers de personnes pour soutenir les injustices, sans que ces mêmes populations ne s'entraident. Le soutien aveugle de l’arabo-baathisme a malheureusement importé et propagé inconsciemment l’intolérance, les stéréotypes et la violence à l’encontre des populations innocentes. Mais à chaque antithèse il y a une thèse.
Jusqu’à nos jours, les systèmes politiques n’arrivent pas à comprendre qu’en amant de la civilisation amazighe, il y a primordialement toute une langue à laquelle ils doivent non seulement tout le respect, mais aussi le fait de se racheter aux divers plans. Cette langue que pratiquent depuis toujours les imazighen (tous topolectes confondus) n’est pas seulement un outil de communication, elle reflète aussi une perception de tout un monde, elle est en outre l’indispensable véhicule de systèmes de valeur et d'expressions culturelles, comme elle constitue un facteur déterminant de l’identité amazighe (tanettit tamazight) des sociétés et des individus. La langue amazighe sert aussi, de manière à la fois objective et symbolique, à constituer les personnes et les sociétés dans leur ensemble. Et là l’individu, forgé dans le moule de sa langue et sa culture, ne peut plus être attaché qu’à cette langue-culture qui l’a produit sous peine d’aliénation. La langue maternelle des amazighes est un colossal contenant qui contient un énorme ensemble de contenus ; et si l’on se permet de détruire ce contenant basique, on n’aura fatalement ni le contenant, ni les contenus. Et Là ne peut être que la fin d’une partie de l’humanité. Sans aller dans les détails, les systèmes politiques dans l’Afrique du Nord tombent en flagrante contradiction de « reconnaitre » la culture et la civilisation amazighes et, en même temps, de nier le facteur linguistique duquel sont tributaires cette culture et cette civilisation, voire ce peuple amazighe. Il est dangereux de ne pas essayer de comprendre, mais il est plus dangereux de ne pas dire ce que l’on pense. Au lieu de détruire, il vaut bien construire. Au lieu de se livrer à la calomnie et de porter flagrante atteinte aux autres, il est vital et indispensable, dans notre univers, qui est bel et bien pluriel, de cultiver la tolérance, car " les questions du pluralisme tendent de plus en plus à devenir une partie des tâches et des énigmes de la civilisation humaine". C’est donc une chance de se retrouver en Afrique du Nord avec une pluralité de langues dont la langue amazighe est la plus ancienne, la plus permanente et la plus apte à propulser le monde nord africain. La vivacité, le dynamisme et le fait de voir à présent notre langue maternelle vivante est, comparés à de puissantes civilisations ayant périclité, un fait exceptionnel. Après tant d’épreuves et de résistances contre les vicissitudes, contre les envahisseurs venus de tous bords avec des intentions d’asservissement, d’assimilation et d’hégémonisme, le monde amazighe se tient plus que jamais debout, et le socle ne devient que plus solide.
La grande problématique qui se pose actuellement est de savoir comment arrêter définitivement l'instrumentalisation de l’arabe à tort et à travers pour détruire anti-humanitairement le monde amazighe en tant qu’une partie considérable de l’humanité. Pédagogiquement, quand l’on est de mauvaise foi et de très mauvaise « formation », quand l’on fait ce que l’on ne dit pas, on peut tout instrumentaliser. Beaucoup de ceux qui ont prêché à cor et à cri l'arabisation totalitaire, ont bien pris le soin de le faire dans des intérêts mondains et immondes. Le chauvinisme pour la langue arabe devient un devoir religieux. Cependant et d’après les préceptes les plus fondamentaux de l’islam, la religion musulmane est au-dessus de toutes les langues, y compris bien sûr celle des arabes. Que devient le monde quand l’on se tâche à asservir l’islam par la langue arabe ? Le point fort et à la fois très sensible de ce chauvinisme arabiste est l'utilisation du sentiment religieux le plus profond. L'arabité et l'Islam se confondent pour ne plus être qu'un seul et unique repère identitaire. L’idée que beaucoup d’amazighes sont musulmans donc arabes est en fait déjà ancienne ! il y a aussi lieu d’évoquer que suite à la colonisation européenne du continent américain, les missionnaires européens tâchaient à enseigner aux Indiens que Dieu n'aimait pas les langues indiennes, car celles-ci étaient sataniques et autres chimères...Au bout de quelque siècles, ces langues indiennes ont quasi-totalement disparu. Les « idées initiatiques sacrées » constituées par les mythes et les récits d’un certain ethos légendaire et utopique ne seront jamais réalisables. Là une rupture de plus en plus évidente est observée entre cette caste arabisante et les générations actuelles, voire futures. Les tenants de l’arabisme, par leur prise de position, sont aux divers plans conduits à dévaloriser la langue amazighe, à inverser les rôles et tenter de disloquer les richesses basées sur un savoir dont la source est toujours le contenu du contenant linguistique. Dans ce sens, l’école « arabiste » fondée sur l’aveugle sentiment religieux à domination arabe, l’apprentissage machinal et la récitation fatale, en essayant de maintenir un ordre calamiteux et un état d’ignorance, est génératrice de confusion entre ce qui est initiation et le savoir en tant que science. Dans leurs démarches, les processus de transmission sociale risquent de se détruire pour que le royaume des aveugles dont les borgnes sont rois arrive à bien se fonder. Les arabistes (amazighophones ou arabophones), qui vivent physiquement sur la terre amazighe, sont attachés moralement, linguistiquement, historiquement et culturellement à l’orient arabe. Ces derniers doivent arrêter de foutre le doute et de cultiver la stéréotypie. Il faut parler de l’existence amazighe comme elle est réellement, et pas comme les amazighophobes le rapportent et l’apprennent. Oui, les ennemis les plus acharnés même des pré-noms de souche linguistique amazighes ne cessent de vociférer en disant tout et n’importe quoi et ce, afin d’arriver à convaincre, au nom d’un idéal creux et inventé de surplus, de l’inutilité d’œuvrer pour que l’ethnocide amazighe prenne fin. Les pan-arabistes ne se satisfont pas seulement d’interdire les pré-noms amazighes, ils ont même arabisé les noms des morts ! La réalité amazighe aux plans social, linguistique et culturel ne pourra pas disparaître. Les choses vont revenir à leur nature, et cela est déjà montré par l’histoire. Donc cette existence est déjà tranchée et décidée par l’histoire. Comme la bombe atomique « little boy » qui n’a même pas pu exterminer la ville de Hiroshima, toutes les armes qu’exploitent et inventent les pouvoirs politiques n’arriveront jamais à exterminer les Amazighes.
Islamiquement parlant, lorsque l’on sera logique, lorsque ces gens arabisés ou amazighophones amazighophobes accepteront les réalités, que la langue tamazight que Dieu de la terre et des cieux a créée dans sa sagesse divine n’est pas une médiocrité ; lorsqu’on n’aura plus honte de ses origines, lorsqu’on sera fier de son authentique et profonde histoire, y compris les périodes antéislamiques, on peut commencer de parler de développement et de prospérité. Les pouvoirs omettent l’essentiel et n’apprennent pas grand-chose de l’histoire. Là on passe à coté de la plaque. On oublie que contrairement aux espèces vivantes, les langues peuvent ressusciter. Il suffit seulement les réveiller et ce, comme la Belle au bois dormant. Dans les années 1920, date à laquelle la diaspora parlait le yiddish et le judesmo, l’hébreu était compté au nombre des langues mortes et ce, depuis plus de deux longs millénaires et demi. Malgré cette situation, une volonté gigantesque s'est manifestée, c’était celle de la ressuscitation. Et tout le reste n’était affaire que de quelques décennies. Actuellement même la science du nucléaire est enseignée en hébreu.
Nier le droit de donner à sa progéniture des pré-noms amazighes et d’être un droit est entre autres une condamnation des aïeux qui s’étaient battus pour leur ascendance, voire leur descendance.
Les systèmes politiques nient, si non omettent que le comportement des amazighes vis-à-vis d’eux n’est qu’une manifestation logique et naturelle de leurs politiques catastrophiques. Jusqu’à nouvel ordre, les décideurs surtout politiques, dans un esprit de fermeture suicidaire, ne mesurent pas la gravité des conséquences de leurs politiques. Pour sécuriser Tamazight y compris le droit d’avoir un pré-nom amazighe, de nouveaux statuts constitutionnels devraient arriver pour rectifier par leur double valeur politique et juridique cette grandiose injustice historique subie par les amazighes. Ainsi on permettra à la langue des amazighes de bénéficier honnêtement et sans ruse aucune des moyens humains, juridiques, matériels, financiers et moraux des Etats de Tamazgha. Tamazight n’est pas seulement une grande histoire, mais aussi une marche identitaire. Il est par ailleurs plus qu’indispensable que l’existence même des Etats de Tamazgha soit liée au sort, à l’avenir et à l’épanouissement de la langue amazighe. Tout Etat de Tamazgha est appelé à comprendre que si l’on s’amuse à anéantir son peuple, il se condamne déjà à sa propre et pure disparition ; et s’il s’applique sérieusement à sauver son peuple en développant Tamazight, il finira par s’épanouir et se maintenir aussi davantage que la nature et l’identité du peuple sont respectées. Cela est déjà confirmé par l’histoire. Le peuple amazighe est depuis la nuit des temps là, tandis que tous les systèmes politiques ayant accédé au pouvoir n’ont cessé de finir par disparaitre (chacun son tour). Pour libérer les systèmes politiques d'une voie sans issue, ces derniers n’ont qu'un seul et unique choix, c'est celui d’admettre l’existence de tamazight employée par des dizaines de millions d’humains.
Cette idée devra se confirmer davantage et ce, dans un proche avenir. C’est une nécessité historico-sociale avérée et une exigence géoculturelle, voire géostratégique. Cependant, faire de Tamazight un outil de développement et d’émancipation demeure toujours un devoir citoyen. Dans cette optique et outre ce qui se fait méthodiquement sur d’autres plans tel que l’enseignement, les mass médias…le mouvement associatif et la revendication amazighe, il peut être suggéré au plan individuel ce qui suit:
1. Employer sa langue amazighe sous ses divers topolectes et dans le maximum de milieux (familial, social, administratif… et notamment interdialectal), cela pour la simple logique qu’un(e) amazighe ne peut être qu’amazighe.
2. Inculquer à ses enfants la fierté d’être amazighe et d’employer tamazight dans sa vie quotidienne.
3. Apprendre à sa progéniture à bien prendre connaissance de sa langue, de son histoire et des enjeux stratégiques. Pour ne pas pousser sa langue à la disparition, la Sous-directrice générale de l’Unesco Françoise Rivière conseille d’être fier de parler sa langue.
4. Produire en tamazight et pour tamazight.
5. Penser qu'il faut que la vie soit pour Tamazight et Tamazight pour la vie (Tudert i Tmazight, Tamazight i tudert).
6. Encourager aux multiples plans les échanges entres amazighes de toutes les régions de Tamazgha.
7. Eviter d’employer entre amazighes de différentes régions autre langue que les topolectes amazighes, même si l’on ne peut que comprendre d’autres variantes que la sienne et ce, sans pouvoir les parler.
8. Se convaincre que l'indispensable moyen de sauver tamazight, c’est de l’écrire, et que toute la bénédiction de Tamazight réside dans la technologie. Mais pour qu'elle se parle à une grande échelle, il faut aussi une grande et vraie volonté, un colossal et vrai désir collectif.
9. Revendiquer sans cesse l’enseignement de tamazight dans tous les pays de Tamazgha. C’est la grande porte qui puisse extirper Tamazight des griffes de la disparition.
10. Occuper les écoles par Tamazight, sinon ces écoles s’occupent de tamazight et déracinent Imazighen.
La maturité des Amazighes ne cesse de se confirmer… le reste viendra… Une fois le sentiment identitaire propre à tous les Amazighes est né, cela va profiter à Tamazight. Le reste ne devienne ainsi dire qu’affaire de temps et ce, sans oublier que la vraie réponse à la question linguistique amazighe est aussi économique. Cependant sauver Tamazight demeure plus que jamais une prise de conscience politique, car reconnaitre Tamazight doit passer par le terrain politique. Un Etat, pour assumer l’Amazighité de son peuple qui ne se limite pas seulement à la langue et à la culture amazighe, doit s’appliquer à l’affirmation de la dignité humaine et de l’identité la plus profonde du peuple. Cette identité a bel et bien pris racine dans sa grande civilisation attestée depuis la préhistoire la plus lointaine. Ce n’est pas un choix à faire, c’est un devoir à accomplir. Il serait cependant utile de préciser qu’au lieu que les pouvoirs politiques s’attaquent à leurs citoyens, il vaut mieux qu’ils s’attaquent aux causes de leurs macabres politiques. Quand est-ce que les systèmes politiques comprennent que s’attaquer aux conséquences ne pourra que pousser la situation à l’irréparable ? La langue amazighe n'est, aux yeux des « ennemis de tamazight », toutes tendances confondues, qu'un particularisme régional et infrahumain sans aucune considération, si ce n'est celle de l'infériorité, de l’étouffement et de la disparition. Donc, pour les amazighes d’aujourd’hui et de demain, la grande question se résume à l’idée d’être ou de disparaitre. Le génie amazighe fabrique des instruments qui ont leur existence propre, et Tamazight est ce que l’on a de plus humain. A cette bonne raison suffit sa défense. Tamazight en tant que langue autonome et outil de communication depuis les périodes préhistoriques demeure ce que tous les Imazighen décident d'en faire. Si l’on se satisfait de sauver Tamazgha, on finira par se sauver soi-même, si l’on se contente de se sauver soi-même, on finira par ne pas sauver Tamazgha, et ça ne sera que la perte de soi-même.
La lutte pour l'identité amazighe est un combat de longue haleine. Chaque jour a son lot d’acquis, et le reste n’est qu’une question de temps. Les militant(e)s (imeghnasen/timeghnasin) sont sur la voie de la résistance et de l'affirmation de l'identité amazighe. Le combat pacifique continue et le gain de cause amazighe ne pourra qu’arriver.

Amazigh, Tamazight d Tmazgha ad ilin !
Vivent Amazighe, Tamazight et Tamazgha !
Tamazight pour tous, tous pour Tamazight !

Nat Mzab

lundi 18 août 2008

L'Origine du Toponyme d'Alger

L'Origine du Toponyme d'Alger


Il est beaucoup plus facile de priser un atome qu'un préjugé. A. Einstein. Permettez-moi chers internautes d’apporter quelques brefs éclaircissements sur le toponyme Dzaïr qui continue jusqu’à nos jours de faire couler de l’ancre. Comme les humains, les mots ont toute une histoire. Ce que l'on peut voir d'un mot est le prolongement, l'aboutissement de centaines, voire de milliers d'années d'évolution. Rechercher l'étymologie d'un mot, c'est aussi voyager dans le temps et dans l'espace. Au-delà de son sens, ce qui est fascinant dans un mot, c'est sa considération symbolique et son cachet culturel, son histoire et son passé. La valeur historique et sociale, le contenu sémantique et le sens authentique qu'on ne voit souvent pas, mais sont pourtant riches et passionnants pour toute l’humanité. Comme tout domaine du savoir et de la connaissance, l’étude des noms de lieux, pour être menée correctement, doit faire appel à certains principes et tenir compte de différentes données. Et Pour parvenir à échapper, autant que possible, aux pièges qui peuvent être rencontrés, il est essentiel de se méfier des apparences et de prendre en charge les quatre éléments suivants dans le cadre d’un examen rapide et ce, avant d’aborder la recherche proprement dite : - les formes anciennes des toponymes ; - la langue employée et ses particularités locales ; - les pratiques traditionnelles ; - la réalité des espaces, leur évolution historique, culturelle... sociale et humaine. Etant donné que l’onomastique qui relève de la lexicologie, est une branche de la linguistique qui, en faisant partie intégrante des sciences sociales et humaines, elle ne peut faire l’objet d’une spéculation anti-philologique ou d’un débat tendanciel, voire fanatique qui fait que chacun croit à la supériorité de la langue qu’il pratique. Défendre une langue est une chose, mais essayer coûte que coûte d’apporter des inexactitudes grossières, des faussetés, des fantaisies, d’arabiser les mots de souche amazighe ou même les morts ne peuvent qu’entacher le savoir et le développement. Jusqu’à une date récente, le statut de langue orale de tamazight (absence d’anciens documents écrits dans cette langue) a entravé d’un coté la possibilité de remonter dans l’état diachronique. Alors que les longs siècles de contact avec l’arabe et l’ignorance de l’élite arabisante des mécanismes et règles de tamazight, et sa tendance à expliquer les mots amazighes par la langue qu’elle maîtrise, a compliqué davantage la situation toponymique. Cette élite avait un peu partout et tout le temps parasité, assimilé et intégré, après les avoir fait subir des transformations phonétiques et sémantiques, des mots dans la langue arabe. L’on avait malheureusement oublié que la connaissance des langues qui peuvent fournir les toponymes est d’une grande utilité et d’une objectivité primordiale. Depuis des siècles jusqu’à nos jours, l’élite arabisante, à tort et à travers, continue de tenter d’expliquer la langue amazighe par la langue arabe en oubliant entre autres de se méfier des ressemblances fortuites et accidentelles qui, d’ailleurs, existent entre toutes les langues de l’humanité. C’est une complexité particulière et propre à l’Afrique du nord. Actuellement la science onomastique n’a pas encore fini de révéler la grande partie de son contenu. Poser la vraisemblable hypothèse que ce toponyme provient de Al-Jazaïr, revient à admettre que : 1. La langue arabe a été parlée dans la région algéroise pendant l’apparition de ce toponyme au Moyen Age, chose qui n’est pas vraie. 2. Les populations vivant au moment où ce toponyme a été créé étaient en contact (invasion, arrivée…) avec les arabes, chose qui est bien fausse. Les arabes (Banu Halil, Banu Soleim…) n’étaient arrivés en Afrique du Nord qu’à partir de 1050 de l’ère grégorienne, alors que la fondation d’Alger avait eu lieu pendant la vie de Bologhine Uw Ziri (ibn Ziri), c’est-à-dire aux environs de 973 de l’ère grégorienne. Y a-t-il lieu de dire que pour arriver à consolider toute hypothèse toponymique, il faut que l’analyse obéisse à une démarche philologique, à une objectivité et à des règles canoniques ? Concernant notre sujet, 6 remarques préliminaires et fondamentales sont à émettre là : 1. Dans la pratique, le mot Al-Jazaïr n’est pas en usage, si non il n’est que sporadique. Celui qui est bien évident en usage et très bien connu, c’est Dzaïr (ou tzaïr). 2. D’après les dictionnaires de référence de la langue arabe, le mot Al-Jazaïr ne peut être admis. Du point de vue de la lexicologie, le mot Al-Jazaïr n’obéit pas à la règle de formation du pluriel du mot Jazira (pl. Jouzour), bien entendu. 3. Outre le substratum amazighe, n’importe quel toponyme peut être dans le cas général soupçonné d’origine de l’une des langues ayant parvenues en Afrique du nord (domaine de l'histoire et/ou de la linguistique). 4. Selon le critère de répartition, le toponyme Dzaïr est tellement ancré dans la pratique algérienne la plus profonde que l’hypothèse selon laquelle il est concurrencé par une autre forme populaire est nulle. 5. Historiquement parlant, la toponymie amazighe depuis le lointain pré-libyque est seule à être permanente ; elle est d’un grand poids que les autres langues en question. 6. La langue amazighe (appartenant à la variante sanhagienne) a été employée en masse dans toute la région algéroise où le toponyme est apparu (domaine de l’histoire). Dans cette optique, l’arrivée de l’arabe en Afrique du Nord occasionna de grands changements sur les structures onomastiques. Beaucoup de lieux en particulier ont perdu ou été contraints de voir leurs noms usuels connaître et en recevoir d’autres tout à fait différents et incompréhensibles. D’un autre coté, il est partout connu qu’en raison de l’existence phonétique de chaque langue, l’on ne peut pas prononcer tous les mots d’une langue très étrangère. Pour cela que l’on arrive fréquemment et au gré du hasard à en modifier les prononciations. Le mot Dzaïr est un bon exemple. Les espagnols en suivant les arabisants qui l’ont écrit Al-Jazïr, ont défiguré ce toponyme qui est devenu Argel. Quant aux italiens et les français, ils l’ont transcrit Algieri et Algérie. En fait, depuis que l’histoire est histoire, l’on a toujours inventé et déformé des mots appartenant à des langues étrangères. Par impuissance de prononciation, par déformation, l’on a bien orthographié Jugurtha au lieu de Yugerten, Massinissa au lieu Massinsen, Kahina au lieu de Damia, Meghraoua au lieu de Imgharen, Tiaret au lieu de Tihert… et la liste est très longue. L’histoire nous enseigne que la fondation d’Alger est l’œuvre des At Ziri. Bologhine fils de Ziri originaire des At Imazighen, après avoir acheté de la confédération At Imazighen appartenant à la lignée des Sanhadja (le nom de cette confédération de tribus s’est arabisé pour être connu actuellement sous forme de Mezghenna), qui occupait l’actuelle région algéroise, une étendue spatiale (les environs de la casbah ?), construisit sur les ruines de l’antique Icausium la ville d’Alger. Les At Ziri (Zirides) connaissent pendant leur règne 8 princes. Ils sont les descendants de leur ancêtre Ziri Uw (= Ugw, Ag, Ig…) Mennad (fils de Menad), donc ce sont des At Ziri. Ziri Ugw Mennad, qui fût gouverneur sous l’autorité Abbasside, est le père de Bologhine, fondateur de la dynastie ziride, ce qui veut dire que les princes zirides sont des At Ziri. C’est là qu’il faut aller chercher une sérieuse piste étymologique pour le toponyme Dzaïr. L’on connaît bien que la base toponymique At fournit un très grand nombre de toponymes. Cette base s’interprète par « fils, descendants, gens, ceux… ». Le nom Ziri dont le féminin est taziri (ou, une autre forme amazighe, tiziri), est d’une très ancienne existence en Afrique du nord. Là deux constations peuvent être émises : • La forme At Ziri d’origine amazighe s’est érodée jusqu’à devenir Dzaïr. • La forme toponymique At Ziri d’origine anthroponymique n’est plus directement discernable dans la forme actuelle Dzaïr (ou tzaïr). Par conséquent, le sens d’origine (de descendants de Ziri) n’est plus compréhensible à travers la forme altérée Dzaïr. Au lieu de At Ziri, les sources écrites en arabe nous ont apporté les formes Beni Ziri et Ezziriyyine. Par ailleurs, on recourt couramment, et ce jusqu’aujourd’hui à la forme d-ziri pour appeler un habitant d’Alger. Dans cette forme attestée, on ne constate qu’une petite différence avec (a)t-ziri, puisque la différence ne demeure qu’au niveau des lettres t et d. Cependant la forme finale ziri est très bien conservée dans dziri. L’itinéraire évolutionnaire à reconstruire est comme suit : At Ziri ----> Tziri (suppression de l’article a) ----> Dziri (transformation de t en d) ----> Tzaïr ----> Dzaïr ----> Al-Jazaïr (bien véhiculé par les sources seulement écrites, il n’existe pas en langue arabe). En guise de conclusion Le toponyme Dzaïr, en usage populaire dans toutes les régions algériennes, voire extra-algériennes, a été transformé dans la dénomination élitaire puis officielle pour être ramené à tort à El-Jazaïr. Le toponyme Al-Jazaïr en étant non attesté dans les dictionnaires arabes de référence, en étant une forme bizarre et étrange par rapport à la langue arabe, ne peut être admis. Il ne peut être rangé qu’au nombre des sornettes. Le seul à admettre authentique et bien fondé, c’est At Ziri. Malgré leur caractère linéaire, les écritures arabe et latine, à cause primordialement de leur incapacité de prononcer beaucoup de mots de la langue amazighe, n’ont pas pu conserver le vrai toponyme d’Alger. Alors que les mécanismes de l’oralité populaire ont bien pu transmettre à nos jours ce toponyme dans un état quasi-authentique (Dziri). La pratique traditionnelle selon laquelle l’on évoque le mot Dzaïr Beni Mezghenna est là pour confirmer un fait historique important. Cette dimension amazighe de la capitale a été occultée par les partisans de la mystification de l’histoire.

Hammou Nat Mzab.
Tanemmirt
inerghi@yahoo.fr